CHAPITRE IV
Les troubles de la conscience
La conscience n’est pas une fonction simple, mais l’association de plusieurs fonctions du système nerveux central qui permettent à l’individu d’établir avec l’extérieur des relations et donc de fournir une réponse appropriée à des stimulations variées : visuelles, auditives ou tactiles; il s’agit donc de l’état de conscience élémentaire ou vigilance.
Les troubles de la conscience peuvent être divisés suivant leur durée en troubles de la conscience de durée brève ou pertes de connaissance brèves qui sont les plus fréquents : lipothymie, syncope et épilepsie et en trouble de la conscience de durée prolongée essentielle- ment les comas qu’il faudra distinguer de l’obnubilation et de la confusion mentale.
I.LES PERTES DE CONNAISSANCE BRÈVES
1.Physio-pathologie
Deux mécanismes peuvent être en cause : l’anoxie cérébrale et une décharge neuronale hypersynchrone.
1.1Une anoxie cérébrale : qui entraîne une paralysie neuronale, d’où perte de connaissance. Cette anoxie cérébrale peut être due à une insuffisance respiratoire ou à une insuffisance circulatoire et va se manifester cliniquement suivant le degré de l’anoxie soit par une syncope si l’anoxie est complète par arrêt circulatoire le plus souvent; soit par une lipothymie s’il s’agit seulement d’une hypoxie.
1.2Une décharge neuronale hypersynchrone : qui a pour conséquence une perte de connaissance épileptique; elle se manifeste cliniquement par l’épilepsie dite généralisée, soit de type grand mal, soit de type petit mal.
2.1Les syncopes
2.1.1-Définition : la syncope est une perte complète de la conscience brusque et passagère, liée à une anoxie cérébrale.
2.1.2-Etude sémiologique : la syncope est un accident subit, qui s’accompagne d’une chute sur le sol ; elle est parfois précédée de prodromes : malaise avec pâleur, sueur, nausée, troubles sensoriels.
La perte de conscience est totale.
L’examen clinique retrouve une pâleur extrême du visage, une disparition du pouls et des battements cardiaques, la tension artérielle est imprenable, parfois on note un arrêt respiratoire ou une respiration stertoreuse.
La durée de la syncope est courte, de quelques secondes : 10 secondes en moyenne; si elle se prolonge au-delà de 10 secondes, elle se complique de convulsions, le malade présente alors un spasme tonique parfois suivi d’une ou deux secousses cloniques. La durée maximale est d’une minute; si cette durée est supérieure à trois minutes, il s’ensuit la mort cérébrale.
A la fin de la syncope, la récupération de la conscience est immédiate et totale.
2.1.3-Causes : les causes de syncope sont soit cardiaques, soit extra-cardiaques.
- Causes cardiaques: la syncope d’Adams-Stokes est une complication du bloc auriculo- ventriculaire du troisième degré ; le rétrécissement aortique peut s’accompagner de syncope apparaissant lors de l’effort.
- Causes extra-cardiaques : la syncope peut être due à une hypotension orthostatique’ qui est soit idiopathique, soit d’origine iatrogène (c’est-à-dire induite par des médicaments au premier rang desquels viennent les hypotenseurs).
2.2Les lipothymies
2.2.1-Définition : la lipothymie est une perte incomplète de la conscience : il s’agit d’une simple obnubilation en rapport avec une hypoxie cérébrale (terme populaire :
«évanouissement»).
2.2.2- Etude sémiologique : le mode de début de la lipothymie est progressif, il est marqué par une angoisse, des sueurs froides et des troubles sensoriels : bourdonnements d’oreille, impression de voile blanc devant les yeux, sensation d’éblouissement ou d’étourdissement.
Puis, la station debout devient impossible avec chute sur le sol qui peut être évitée par un décubitus préalable.
La perte de connaissance n’est pas totale.
Les signes accompagnateurs sont une pâleur du visage, une tension artérielle basse, un pouls petit mais qui reste perceptible.
La conscience revient lentement au bout de 2 à 3 minutes; la récupération physique est plus lente : 15 à 30 minutes; elle est suivie d’une sensation de fatigue.
2.2.3. Causes : la lipothymie peut être due à une hypotension orthostatique ou se voir chez le sujet neurotonique hyperémotif.
2.3L’épilepsie ou perte de connaissance épileptique.
2.3.1-Définition : l’épilepsie est une crise cérébrale en rapport avec une décharge paroxystique, hypersynchrone d’une population neuronale. Elle peut revêtir deux tableaux cliniques distincts : la crise de grand mal et la crise de petit mal.
2.3.2-Etude sémiologique :
_ La crise de grand mal :
- Elle survient à tout âge.
- Le mode de début est brutal : il s’agit d’une perte de connaissance brutale, inopinée et soudaine, sans prodromes, entraînant la chute du malade.
- La crise évolue en quatre phases :
_ la phase tonique : marquée par une hypertonie généralisée avec apnée, cyanose et
morsure de la langue’, sa durée est de 10 à 20 secondes;
_ la phase clonique : est faite de secousses musculaires violentes et synchrones s’accompagnant d’un relâchement sphinctérien avec perte des urines\ sa durée est de 30 secondes ;
_ la phase stertoreuse : pendant laquelle le malade présente une respiration ample et bruyante dite stertoreuse; sa durée est de 30 secondes à 2 minutes;
_ la phase résolutive : au cours de laquelle on observe un retour progressif de la conscience; cette phase est suivie d’un repos réparateur; sa durée est de 10 minutes.
- Après la crise, le sujet présente un signe important : l’amnésie postcritique (le malade ne se souvient pas de sa crise).
- Si l’on n’a pas assisté à la crise, deux signes objectifs importants permettront de l’identifier
la morsure de la langue et la perte des urines.
_ La crise de petit mal ou absence :
- Elle ne se voit que chez l’enfant.
- Elle réalise une suspension brève de la conscience d’une durée de 5 à 10 secondes. Elle est d’apparition soudaine et inopinée, sans prodromes. Elle ne s’accompagne ni de chute, ni de troubles du tonus, ni de relâchement sphinctérien, ni de manifestations cloniques.
- Elle est suivie d’une reprise immédiate de l’activité.
II.LES COMAS
1.Définition
Le coma se définit comme une perte durable de la conscience, avec altération de la vie de relation, c’est-à-dire baisse de la vigilance et conservation relative des fonctions végétatives.
Le coma n’est pas une exagération des phénomènes de sommeil, mais une dépression des structures d’éveil due à une atteinte des structures réticulées.
2.Etude sémiologique
Elle va permettre de reconnaître le coma, d’apprécier sa profondeur afin de le classer. Cette étude sémiologique repose essentiellement sur l’examen clinique qui se fait en deux temps : le premier temps apprécie la vigilance du sujet et le deuxième temps consiste à effectuer l’examen neurologique proprement dit.
2.1Etude de la vigilance : elle comprend l’étude de la perceptivité de la réactivité.
2.1.1-Etude de la perceptivité : la perceptivité répond à des mécanismes nerveux acquis nécessitant une intégration corticale; son étude repose sur différents tests, l’absence de réponse à ces tests indique un trouble de la conscience de gravité croissante.
- Réponse verbale simple à une question simple : nom, prénom, âge.
- Exécution d’un ordre verbal simple : tirer la langue, fermer les yeux.
- Recherche d’un clignement palpébral à la menace.
2.1.2Etude de la réactivité : la réactivité répond à des mécanismes nerveux primordiaux dont le siège est sous-cortical.
- La réactivité non spécifique :
- La réaction d’orientation : se recherche chez le sujet les yeux ouverts, un stimulus sonore entraîne une rotation des yeux vers le côté d’où vient le bruit.
- La réaction d’éveil : se recherche chez le sujet les yeux fermés, le stimulus sonore doit entraîner l’ouverture des yeux avec réaction d’orientation.
- La réactivité à la douleur : la stimulation douloureuse consiste en un pincement du trapèze ou du mamelon, la réaction à la douleur est faite de trois composantes dont l’absence est de gravité croissante :
- Réaction par une mimique (grimace) avec ou sans réaction vocale.
- Réaction d’éveil : ouverture des yeux.
- Réaction motrice : la réaction motrice peut être coordonnée : marquée par un retrait du membre stimulé ou au contraire incoordonnée.
2.2L’examen neurologique : doit être complet; il a quatre objectifs : rechercher des troubles de la motricité, des troubles du tonus, des troubles végétatifs et enfin les réflexes mésencéphaliques.
2.2.1-Examen de la motricité : recherche l’existence de signes neurologiques en foyer qui sont inconstants; en particulier des signes d’hémiplégie.
2.2.2-Examen du tonus : afin de mettre en évidence des troubles du tonus à type d’hypertonie ou au contraire d’hypotonie.
2.2.3-Recherche de troubles végétatifs :
- Troubles de la fonction respiratoire : réalisant des troubles du rythme et de l’amplitude respiratoire.
- Une respiration périodique de type Cheyne-Stokes se voit dans les lésions de l’encéphale.
- Une hyperventilation à type d’hyperpnée rapide, régulière et ample qui traduit une atteinte du pédoncule cérébral.
- Une respiration apneustique : respiration entrecoupée de pauses à chaque inspiration; se voit dans les lésions de la protubérance.
- Une ataxie respiratoire : respiration irrégulière qui traduit une altération des centres bulbaires.
- Troubles de la fonction circulatoire : instabilité de la fréquence cardiaque et de la tension artérielle.
- Troubles thermiques : à type d’hyperthermie ou plus rarement d’hypothermie.
2.2.4-Les réflexes mésencéphaliques :
- Etude de la déglutition : la déglutition comporte trois temps :
- Le premier temps : buccal est intentionnel et volontaire.
- Le deuxième temps : bucco-pharyngé est automatique; son abolition se traduit par une stase pharyngée qui indique un coma profond.
- Le troisième temps : pharyngé est réflexe ; son abolition se traduit par des fausses routes, ce qui impose l’arrêt de tout apport liquidien par la bouche et la mise du malade en position déclive avec aspiration pour éviter l’inondation des voies respiratoires par la salive.
- Le réflexe pupillaire ou photomoteur : le stimulus lumineux d’un côté entraîne normalement un myosis bilatéral; son abolition est le signe d’un coma grave.
- Le réflexe cornéen : l’attouchement de la cornée avec un brin de coton effilé entraîne normalement l’occlusion de la paupière, son abolition signe un état grave.
3.Le diagnostic différentiel
Au terme de l’étude sémiologique, le coma pourra être distingué des autres troubles durables de la conscience : l’obnubilation et la confusion mentale (voir Chapitre II).
4.La classification des comas
Le coma reconnu, il sera classé suivant sa profondeur en quatre stades. On se basera pour cette classification sur les résultats de l’examen clinique.
4.1.Stade 1 : Coma léger : qui peut être défini comme une altération plus ou moins importante de la perceptivité avec toutefois persistance du clignement palpébral à la menace; par contre, la réactivité non spécifique et la réactivité à la douleur sont conservées et les réflexes mésencéphaliques sont présents.
Il faut individualiser le cas particulier du coma vigil : qui est un coma léger avec excitation psycho-motrice à type d’agitation et de délire et qui est particulièrement fréquent au cours des hémorragies méningées.
L’EEG montre un rythme de base ralenti et une réactivité électrique aux stimulations augmentée.
4.2.Stade II : Coma confirmé : il réalise une perte complète de la perceptivité avec absence de clignement palpébral à la menace; une absence de réactivité non spécifique et une perturbation de la réactivité à la douleur qui se manifeste par une absence de réponse par la mimique, une absence de réaction d’éveil mais par contre une persistance de la réaction motrice coordonnée. Par ailleurs, il n’existe pas de troubles du tonus, ni de troubles des fonctions végétatives, les réflexes mésencéphaliques sont présents.
Il est à noter que la déglutition n’est perturbée que dans son premier temps : le temps buccal. Enfin, les troubles sphinctériens sont constants.
L’EEG : montre un effacement du rythme de base, une activité delta spontanée et une réactivité électrique aux fortes stimulations.
4.3.Stade III : Coma profond ou coma carus : est caractérisé par une abolition de toute perceptivité et de toute réactivité, seule persiste une réaction motrice incoordonnée aux stimulations douloureuses. Il s’accompagne outre les troubles sphinctériens de troubles du tonus, de troubles végétatifs et d’anomalies des réflexes mésencéphaliques avec troubles de la déglutition et risque de fausses routes, d’abolition du réflexe photomoteur avec mydriase bilatérale fixe et d’abolition du réflexe cornéen.
L’EEG montre des ondes deltas amples monomorphes et une absence de réactivité électrique aux stimulations.
4.4Stade IV : Coma dépassé : il réalise une abolition de toute vie de relation et de toute vie végétative avec hypotonie musculaire, arrêt de la respiration spontanée, effondrement tensionnel et mydriase.
L’EEG montre une activité nulle.
Le stade IV peut évoluer suivant deux modalités :
4.4.1-Coma avec sidération végétative : qui est réversible et qui peut se voir en cas d’intoxication barbiturique.
4.4.2-Coma dépassé irréversible : dont les critères diagnostiques stricts sont les suivants :
- Perte totale de conscience.
- Abolition de toute réactivité des nerfs crâniens avec abolition du réflexe cornéen, immobilité des globes oculaires, mydriase bilatérale aréflexique.
- Abolition de la respiration spontanée après débranchement du respirateur pendant au moins 3 minutes avec PCO2 égale ou supérieure à 40 mm de Hg.
— Nullité du tracé électrique (EEG) pendant au moins dix minutes.
5.Recherche de la cause du coma
Cette recherche va reposer sur l’interrogatoire de l’entourage qui va préciser : les circonstances d’apparition du coma, les antécédents pathologiques : notion de maladie connue (HTA, diabète), la notion de traumatisme récent ou ancien et enfin la notion de prise médicamenteuse; sur l’examen somatique complet et enfin sur les examens biologiques : glycémie, recherche de sucre et de corps cétoniques dans les urines, urée sanguine et créatinémie.
Un coma peut être dû à l’une des trois grandes causes suivantes : neurologique, métabolique ou toxique.
5.1Causes neurologiques :
- Traumatisme crânien.
- Accident vasculaire cérébral : hémorragie cérébro-méningée ou ramollissement cérébral.
- Infection : méningite, encéphalite.
5.2Causes métaboliques : diabète, insuffisance rénale, insuffisance hépatique, insuffi- sance respiratoire, hypoglycémie et cause endocrinienne : surtout insuffisance thyroïdienne et insuffisance anté-hypophysaire.
5.3Causes toxiques : de grande fréquence dominée par le coma barbiturique et l’intoxication à l’oxyde de carbone.