CHAPITRE VI
Les troubles de la sensibilité
I.RAPPEL ANATOMO-PHYSIOLOGIQUE DES VOIES DE LA SENSIBILITÉ (fig. 1)
On distingue deux modes de sensibilité : la sensibilité extéroceptive et la sensibilité proprioceptive.
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- La sensibilité extéroceptive ou superficielle : recueille les sensations cutanées provo- quées par le tact, la douleur, le chaud et le froid.
- La sensibilité proprioceptive ou profonde : renseigne sur les attitudes et les déplace- ments segmentaires.
Ces deux types de sensibilité sont véhiculés par deux voies différentes : la voie spino- thalamique transmet les sensations thermo-algésiques, la voie lemniscale les sensations proprioceptives.
La sensibilité tactile emprunte les deux voies : spino-thalamique et lemniscale.
1.La voie spino-thalamique
1.1Les récepteurs : sont répartis sur l’ensemble des téguments.
- Les mécano-récepteurs sont sensibles au tact, à la pression, au déplacement des poils.
- Les thermo-récepteurs sont sensibles au froid et au chaud. Il n’y a pas de récepteurs spécialisés pour la douleur.
1.2Les voies : l’influx nerveux est transmis des récepteurs au premier neurone qui s’articule dans la corne postérieure de l’axe gris du même côté avec le deuxième neurone.
Le deuxième neurone croise la ligne médiane en avant de l’épendyme et gagne le cordon latéral opposé et remonte dans la moelle, le tronc cérébral et se termine au niveau du noyau ventro-postéro-latéral du thalamus.
Au niveau du thalamus, le deuxième neurone s’articule avec le troisième neurone et gagne le cortex pariétal rétro-rolandique dans l’aire 1, 2 et 3 de Brodmann.
2.La voie lemniscale
2.1Les récepteurs : sont situés dans les muscles, les tendons, les capsules et les ligaments articulaires.
2.2Les voies : l’influx nerveux est transmis des récepteurs au premier neurone ou protoneurone qui monte dans la moelle dans le cordon postérieur homolatéral sans croiser. L’ensemble des protoneurones forme les faisceaux de Goll et Burdach.
Au niveau du bulbe, le protoneurone s’articule avec le deuxième neurone ou deutoneurone qui croise la ligne médiane dans le bulbe et forme le ruban de Reil ou lemniscus médian qui monte dans le tronc cérébral en arrière du faisceau pyramidal d’abord prés de la ligne médiane, puis de plus en plus latéral et se termine dans le noyau ventro-postéro-latéral du thalamus.
Au niveau du thalamus, le deuxième neurone s’articule avec le troisième neurone de la voie spino-thalamique dans son trajet jusqu’au cortex pariétal.
Ainsi, les deux voies lemniscale et spino-thalamique sont nettement séparées dans la moelle et le bulbe, d’où possibilité de troubles sensitifs dissociés.
La longueur du premier neurone de la voie lemniscale qui va de la moelle jusqu’au bulbe le rend plus fragile aux diverses agressions.
II.ETUDE SÉMIOLOGIQUE
Elle repose sur l’interrogatoire qui va préciser les troubles sensitifs subjectifs et l’examen clinique qui met en évidence les troubles sensitifs objectifs.
1.Les troubles sensitifs subjectifs
Ils peuvent être de deux types : les douleurs et les paresthésies.
1.1Les douleurs : comme pour toute douleur, il faudra préciser le type, le siège, les circonstances d’apparition et l’évolution.
1.Le type :
- Douleur pongitive : à type de pesanteur ou d’écrasement.
- Douleur lancinante : à type de battement.
- Douleur térébrante : est une douleur pénétrante, traversant les tissus en profondeur.
- Douleur fulgurante : est une douleur en éclair.
- Douleur causalgique : est une douleur à type de cuisson ou de brûlure.
2.Le siège :
— Il peut être localisé.
- Il peut être diffus prédominant aux extrémités ou à un hémicorps.
- Il peut suivre le trajet d’une racine rachidienne réalisant une névralgie radiculaire. exemple : la douleur de la sciatique de type L5 qui descend à la fesse, à la face postérieure de la cuisse, à la face externe de la jambe, au dos du pied jusqu’aux premiers orteils.
3.Les circonstances d’apparition :
— Douleur spontanée.
- Douleur déclenchée ou augmentée par certaines manœuvres dans le cas d’une atteinte radiculaire.
- Manœuvres qui augmentent la pression du LCR : toux, défécation, effort.
- Manœuvre de Lasègue : qui est une manœuvre d’étirement des racines sciatiques (voir sémiologie de l’appareil locomoteur).
4.L’évolution :
— Douleur brève en éclair se répétant par accès : douleur de la névralgie du trijumeau.
— Douleur prolongée ou permanente : douleur de la polynévrite.
1.2Les paresthésies : sont des sensations anormales habituellement non douloureuses et non motivées par un stimulus extérieur, de types divers : fourmillements, picotements, sensations de ruissellement, de courant d’air chaud ou froid, de courant électrique.
2.L’examen clinique
2.1Technique (voir examen neurologique : Chapitre II).
2.1Résultats : l’examen clinique permet de mettre en évidence les troubles sensitifs objectifs suivants :
- Une hypoesthésie : diminution de la sensibilité.
- Une anesthésie : abolition de la sensibilité.
- Une anesthésie douloureuse : est l’association dans un même territoire d’une anesthésie et de douleurs spontanées.
- Une hyperesthésie : est une sensibilité accrue aux divers modes de stimulation.
- Une hyperpathie ou hyperalgésie : est la perception sous forme de douleur d’un stimulus normalement non douloureux : chaud, froid…
Les troubles sensitifs objectifs peuvent porter sur tous les modes : sensibilité superficielle et profonde ou être dissociés, c’est-à-dire ne porter que sur l’une des deux.
III.LES DIFFÉRENTS SYNDROMES SENSITIFS
Comme les paralysies, nous classons les troubles sensitifs suivant la topographie des lésions en troubles sensitifs périphériques : par atteinte du neurone périphérique et en troubles sensitifs centraux par atteinte des structures centrales.
1.Les syndromes sensitifs d’origine périphérique
Ils sont en rapport avec une atteinte soit des troncs nerveux, soit des racines.
1.1Mononévrite : est l’atteinte d’un seul tronc nerveux.
- Signes subjectifs : douleurs et paresthésies dans le territoire de distribution sensitive du nerf atteint. Les douleurs peuvent être déclenchées ou augmentées par la pression du tronc nerveux en certains points de son trajet.
- Signes objectifs : hypoesthésie ou anesthésie à tous les modes dans le territoire de distribution sensitive et troubles moteurs dans le territoire de distribution motrice du nerf atteint.
1.2Polynévrite : est l’atteinte symétrique de plusieurs troncs nerveux, la topographie des troubles est habituellement distale.
- Signes subjectifs : douleurs profondes et paresthésies.
- Signes objectifs : hypoesthésie cutanée le plus souvent ; parfois troubles de la sensi- bilité profonde.
La distribution des troubles sensitifs subjectifs et objectifs est particulière, elle est bilaté- rale, symétp0“^ ^ distale affectant une topographie « en gant » ou « en chaussette ». Ils sont associés à des troubles moteurs localisés à la loge antéro-externe de la jambe au membre inférieur et aux muscles extenseurs des doigts au membre supérieur.
1.3Monoradiculite : est l’atteinte d’une seule racine.
- Signes subjectifs : sont au premier plan, ils sont dominés par la douleur de type radiculaire
: cette douleur suit le trajet de la racine, elle est déclenchée ou augmentée par les manœuvres qui augmentent la pression dans le LCR et par les manœuvres d’étirement de la racine. Parfois, on peut retrouver des paresthésies.
- Signes objectifs : sont habituellement discrets à type d’hypoesthésie à tous les modes dans le territoire de distribution sensitive de la racine intéressée. Les troubles moteurs sont également habituellement discrets.
1.4Polyradiculonévrite : est l’atteinte symétrique de plusieurs racines.
La main prend une attitude particulière dite de « main d’accoucheur » (fig. 2) : le pouce en extension et adduction, les doigts serrés les uns contre les autres à demi fléchis, la paume est creusée par le rapprochement de ses deux bords; le poignet peut être en demi-flexion. Lorsque les pieds sont atteints, les orteils se mettent en flexion plantaire serrés les uns contre les autres, la plante est creusée comme la paume de la main.
1.5La tétanie : est un syndrome sensitivo-moteur évoluant par crises paroxystiques.
1.51L’accès tétanique : comporte des troubles sensitifs et des troubles moteurs dont la répartition topographique est particulière; ils affectent les extrémités : mains, pieds, et la région péribuccale.
La crise commence par des troubles sensitifs débutant par les doigts et les orteils sans jamais dépasser le coude, ni le genou, puis apparaissent les troubles moteurs. La durée de la crise va de quelques minutes à quelques heures.
Chez le jeune enfant, l’attitude du poing est la plus fréquente, la contracture péri buccale peut réaliser des attitudes de moue ou « de museau de carpe » et il existe des risques de laryngospasme entraînant une apnée.
1.5.2Entre les crises : des troubles sensitifs objectifs à type d’hypoesthésie tactile des doigts peuvent persister.
On recherchera le signe de Chvostek qui est la contraction de l’orbiculaire des lèvres lors de la percussion de la joue au milieu d’une ligne unissant le lobule de l’oreille et la commissure labiale; le signe de Weiss qui est la contraction de l’orbiculaire des paupières lors de la percussion de l’angle externe de l’œil et le signe de Lust qui est la contraction des muscles de la loge antéro-externe de la jambe lors de la percussion du sciatique poplité externe au col du péroné.
Tous ces signes peuvent être négatifs, on essaiera alors 4onc de déclencher un accès tétanique par l’épreuve du garrot qui consiste à poser sur le bras pendant 10 minutes un garrot ischémiant, puis à l’enlever, chez le tétanique cette manœuvre déclenche un accès c est le signe de Trousseau.
1.5.3Les causes des tétanies sont l’hypocalcémie, l’alcalose, l’hypokaliémie et les tétanies idiopathiques (sans cause décelable).
2.Les syndromes sensitifs centraux
Ils peuvent avoir pour origine une atteinte de la moelle, du bulbe, du thalamus ou du cortex.
2.1 Au niveau de la moelle : on peut observer un syndrome médullaire complet ou un syndrome médullaire partiel.
2.1.1 Le syndrome médullaire complet : se voit dans les paraplégies qui réalisent une lésion complète de la moelle, soit par section médullaire (post-traumatique), soit par compression. On observe alors une anesthésie ou hypoesthésie à tous les modes dans le territoire situé au-dessous de la lésion. La limite supérieure du trouble de la sensibilité à une valeur capitale pour le diagnostic topographique de la lésion médullaire surtout en cas de compression médullaire.
2.1.2Les syndromes médullaires partiels : peuvent revêtir plusieurs aspects :
- Une lésion de l’hémi-moelle droite ou gauche réalise le syndrome de Brown-Sequard
associant :
- Du côté de la lésion : des troubles de la sensibilité profonde et des troubles moteurs à
type de paralysie.
- Du côté opposé à la lésion des troubles de la sensibilité thermo-algésique.
- Une lésion des cordons postérieurs réalise le syndrome cordonal postérieur qui peut s’accompagner de troubles sensitifs subjectifs dont le plus caractéristique est la douleur fulgurante ou douleur en éclair.
Les troubles sensitifs objectifs vont porter uniquement sur la sensibilité profonde; ils associent :
- Une ataxie : qui est l’ensemble des troubles moteurs apparaissant lors de la fermeture des yeux (en rapport avec un trouble de la sensibilité profonde) :
- troubles du maintien des attitudes : avec signe de Romberg et signe de la main instable ataxique : on demande au sujet de maintenir ses mains tendues en avant, doigts écartés; lors de la fermeture des yeux, la main et les doigts présentent des oscillations;
- troubles des mouvements : avec troubles de la marche : démarche talonnante et anomalies du mouvement finalisé : le mouvement est mal dirigé, hésitant et le but est manqué : dysmétrie.
- Une abolition de la sensibilité vibratoire au diapason.
- Une perte du sens de position segmentaire des membres.
- Une astéréognosie : perte de la reconnaissance palpatoire des objets. Il n’y aura pas de troubles de la sensibilité thermo-algésique d’où le nom de dissociation
tabétique : car ce tableau a d’abord été décrit dans le tabès (syphilis nerveuse), il peut se voir
également au cours de l’avitaminose B 12.
— Une lésion centro-médullaire : située autour du canal épendymaire, va entraîner des troubles isolés de la sensibilité thermo-algésique « en bande » ou « suspendue » avec conser- vation de la sensibilité profonde, c’est la classique dissociation syringomyélique ou dissocia- tion thermo-algésique (décrite dans la syringomyélie, maladie qui s’accompagne d’une cavitation centro-médullaire de nature primitive en rapport avec une malformation congé- nitale).
La lésion centro-médullaire intéresse en hauteur seulement quelques segments médullaires au niveau du renflement cervical d’où l’aspect suspendu des lésions et en largeur la lésion va non seulement intéresser les fibres spino-thalamiques, mais aussi la corne antérieure, d’où l’association caractéristique :
- anesthésie thermo-algésique en bande avec conservation de la sensibilité profonde ;
- paralysie avec amyotrophie siégeant au niveau de la ceinture scapulaire, des bras et des mains;
- troubles trophiques des membres supérieurs.
Valeur sémiologique : la syringomyélie, les tumeurs intramédullaires.
2.2Au niveau du bulbe : l’atteinte de la région latérale du bulbe réalise le syndrome de Wallenberg qui est un syndrome alterne sensitif (dû à un ramollissement du bulbe par ischémie artérielle dans le territoire vertébro-basilaire).
- Du côté de la lésion^ on observe une hypoesthésie ou une anesthésie thermo-algésique dans le territoire du trijumeau avec conservation de la sensibilité tactile (en effet parmi les noyaux sensitifs du V seul le noyau spinal est touché, car il s’étend sur toute la hauteur du bulbe et il est le relais des afférences thermiques et douloureuses; les autres noyaux du V en particulier, le noyau principal qui est le noyau de la sensibilité tactile siège au niveau de la protubérance), un syndrome de Claude Bernard Horner, un syndrome vestibulaire et un hémisyndrome cérébelleux.
- Du côté opposé à la lésion : une hémi-anesthésie thermo-algésique des membres supérieurs et inférieurs réalisant avec / ‘anesthésie faciale du côté de la lésion, le syndrome sensitif alterne ; une hémiparésie peut être observée.
2.3Au niveau du thalamus : c’est le syndrome capsulo-thalamique de Dejerine-Roussy : la lésion intéresse le noyau postéro-ventral du thalamus et déborde sur la capsule interne et les radiations optiques; il va se manifester du côté opposé à la lésion :
— Des troubles sensitifs subjectifs à type d’hyperpathie.
- Des troubles de la sensibilité profonde et des troubles de la sensibilité thermo-algésique.
- Une hémianopsie latérale homonyme.
— Une hémiparésie.
2.4Au niveau du cortex : des lésions du cortex pariétal vont entraîner des troubles sensitifs de la moitié opposée du corps souvent limités à une partie du corps du fait de l’étalé ment de la représentation somatotopique sensitive.
Ces troubles sensitifs portent essentiellement sur la sensibilité profonde : trouble du sens des positions sédentaires et astéréognosie. Les troubles de la sensibilité superficielle sont seulement à type d’hypoesthésie.